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Blog de Luc Collès
6 juillet 2014

Recomposition du paysage religieux à l’ère de la mondialisation : le point de vue d’un universitaire chrétien.

 

haubans7

Comment être chrétien aujourd’hui dans un environnement très souvent opposé au christianisme ? Telle est la question que je me suis posée au seuil de cette réflexion. Je place celle-ci dans le cadre de la « force de conviction » (Jean-Claude Guillebaud) plutôt que dans le cadre de l’action (justice sociale, souci des démunis, respect des droits de l’homme, etc.), non par indifférence à l’égard de cette action, mais parce qu’essayer de conformer ses actes à ses convictions me paraît aller de soi. Je suis bien convaincu que la foi sans les œuvres n’est rien. Mais on ne peut négliger le poids des idées, qui se diffusent à partir d’une pensée philosophique, grâce au relais que lui assurent les media pour être finalement assimilée par le grand public, sans que ce dernier soit même conscient de cette filiation.

J’enseigne la didactique du français langue étrangère et de l’interculturel. Mes travaux s’inscrivent dans une perspective anthropologique. Ce qui m’intéresse, c’est de montrer les types de rapports que les individus nouent avec la nature, avec les autres hommes, avec l’avenir et avec le Transcendant. Un des objectifs que je poursuis est de favoriser la découverte réciproque des cultures belges et maghrébines, ce qui me conduit à me pencher sur le référent religieux, constitutif de la culture arabo-musulmane, et, par ricochet, à m’interroger sur la place du christianisme dans notre culture occidentale. C’est en comparant les cultures franco-belge et maghrébine que j’ai été amené à aborder le dialogue interreligieux entre chrétiens et musulmans.

Par ailleurs, en me rendant compte, durant ma longue carrière d’enseignant dans le secondaire, de ce qu’il faut bien appeler « l’inculture religieuse des jeunes », j’ai aussi pris conscience que cette absence de culture religieuse allait de pair avec une perte de repères, voire une perte de sens. De mon point de vue, c’est sur ce terrain que se joue aujourd’hui le retour du fait religieux dans le monde, c’est au sein d’un affrontement qu’il se manifeste : affrontement entre le « monothéisme du marché », le matérialisme, et tous ceux qui veulent que leur vie ait un sens, c’est-à-dire une direction plus spirituelle et une signification qui leur apporte un réel sentiment de plénitude.

Ce que nous observons aujourd’hui dans nos sociétés occidentales n’est pas vraiment le signe d’une disparition du religieux, mais témoigne plutôt d’une autre façon de le vivre.

L’Eglise catholique, depuis la Contre-Réforme, liait de façon extrêmement étroite la foi et la pratique, l’adhésion à l’institution et les comportements personnels. Les pratiques religieuses étaient encadrées de façon stricte avec des contraintes très fortes, des prescriptions cultuelles rigoureuses, par exemple l’assistance dominicale à la messe. L’Eglise avait mis en place une sorte de quadrillage du contrôle des conduites individuelles en obligeant les fidèles à se conformer strictement aux prescriptions cultuelles et sacramentelles. Y contrevenir, c’était tomber en état de péché mortel qui vous culpabilisait et vous mettait au ban de la communauté. L’Eglise fonctionnait donc essentiellement sur l’appel à l’obéissance et le respect de l’autorité.

1. Un fonctionnement différent

Dans le dernier tiers du XXe siècle, nous avons eu affaire à des changements de mentalité très profonds avec la revendication individuelle d’autonomie pour tout ce qui touche à la vie privée, idées et croyances compris. L’Eglise apparaît aux yeux de beaucoup comme celle qui s’oppose au grand mouvement de libération et d’épanouissement personnel, exerçant ainsi une contrainte sur les consciences individuelles qui paraît insupportable. En fait, l’Eglise n’a jamais cessé de tenir le même discours en matière de morale, mais celui-ci se heurte de plein fouet à l’aspiration à l’autonomie des hommes et des femmes d’aujourd’hui, peu enclins à accepter qu’une autorité extérieure leur dicte ce qui est bien et ce qui est mal, en particulier dans le domaine de leur vie intime.

Les gens ne supportent plus l’ingérence de l’Eglise dans leur existence personnelle. Autrefois, on ne trouvait pas anormal qu’une Eglise ait des préoccupations d’ordre moral pour la vie de l’individu, mais on criait au cléricalisme dès qu’elle s’intéressait aux problèmes économiques et sociaux. Aujourd’hui, c’est quasiment l’inverse : on supporte plus volontiers que l’Eglise parle de la justice ou de la remise de la dette du tiers-monde que des relations dans le couple.

Depuis une vingtaine  d’années, on assiste aussi au rejet des grandes idéologies (cf. Jean-Claude Guillebaud, La Force de conviction, Seuil, 2005) : pour la foi religieuse, le changement est considérable, alors qu’autrefois on acceptait d’adhérer à un système politique ou religieux dans son intégralité.

Nos contemporains veulent autre chose que de grandes synthèses intellectuelles. Ils attendent plutôt des sagesses pratiques, car nous vivons dans des sociétés en plein désarroi dans la mesure où les traditions sont mises à mal : les conceptions anciennes du rapport au corps, à l’autre sexe, à la souffrance, au temps ou à la nature, tout est remis en cause. Or les hommes d’aujourd’hui, n’ayant guère de repères qui leur permettent de se situer, recherchent des sagesses qui vont les aider à vivre le repos, le travail, les loisirs, le rapport à l’autre, l’amour… Cette quête explique sans doute l’attrait qu’exercent sur eux les sagesses orientales qui ne proposent pas des dogmes mais des manières de  mieux vivre.  Jean Delumeau (1997 : 370) parle de « bricolage, de religion à la carte, de syncrétisme ».

2. Une attente différente

Certes, les demandes faites aux religions d’aider à mieux vivre ne sont pas illégitimes, car la religion, et le christianisme en particulier, peut avoir des effets positifs sur la vie des hommes et des femmes. Toute une tradition spirituelle a d’ailleurs joué un grand rôle dans la formation de la personnalité et la structuration de la vie des croyants. Mais le religieux apporte surtout des réponses à ce qui est essentiel pour l’homme : Pourquoi est-ce que je vis ? Y a-t-il un Dieu ? Et s’il existe, quelles relations pouvons-nous avoir avec lui ? Que se passe-t-il après la mort ? C’est l’originalité de la Révélation chrétienne d’apporter des réponses à ces questions capitales.

Le reste, c’est-à-dire les effets que produit la religion sur chaque homme, ce sont des effets induits, accessoires par rapport au contenu du message religieux. Or, de nos jours, on s’intéresse davantage aux effets induits. Le christianisme parle de Dieu, de la richesse de la vie trinitaire, mais on demande à une religion qu ‘elle nous permette d’être bien dans notre peau, d’être à l’aise dans nos rapports avec les autres. Finalement, on s’intéresse à l’utilité de la religion.

Dans la société moderne, nous vivons également un autre mode de relation au religieux ; nous assistons à une « recomposition du fait religieux » (René Rémond 2001). Dans l’esprit de beaucoup de ceux qui viennent seulement à la messe de loin en loin, il n’y a pas rupture avec l’Eglise. De nombreux jeunes aujourd’hui estiment qu’appartenir à l’Eglise ne constitue pas une obligation de se conformer à ce que celle-ci exige à propos de la pratique dominicale.

 

3. Naissance du pluralisme religieux.

Le christianisme subit aussi de plein fouet les effets de la mondialisation. Depuis une trentaine d’années, le paysage a complètement changé. L’information, la communication ont fait connaître d’autres courants religieux et entraîné le pluralisme. Jusque-là, le christianisme jouissait d’une situation de monopole. Aujourd’hui, on sait qu’il existe d’autres religions, souvent même on en parle avec plus de sympathie que du christianisme et notamment du catholicisme dont on rappelle surtout les excès passés ou les fautes. Aussi assiste-t-on à une sorte d’aplatissement des perspectives religieuses, car on a maintenant l’impression que tout se vaut.

Et dans ce climat de libre concurrence spirituelle, le christianisme ne sort pas nécessairement victorieux de la compétition, dans  la mesure où le procès qui lui est fait n’est pas toujours équitable. Il souffre sans doute d’être la religion traditionnelle, car on croit bien le connaître puisqu’il est proche par tradition, et on ne pense pas nécessaire d’y consacrer un minimum d’attention. Aussi beaucoup de gens vivent-ils sur des préjugés à son égard.

L’anticléricalisme touche les nations catholiques où la religion a été longtemps très contraignante, avec une institution structurée, hiérarchisée, cléricale, s’étendant au monde entier. Dans les pays protestants, le caractère clérical des églises est moins prononcé. En France, les gens restent marqués par le fait que l’Eglise a exercé sur la société une tutelle pesante dont le souvenir persiste dans la mémoire collective avec la crainte permanente d’une renaissance de cette mainmise. Dans la résurgence de cet anticléricalisme, toute déclaration des autorités de l’Eglise est interprétée comme l’indice d’une volonté de restaurer son autorité passée. Il s’agit évidemment d’une crainte chimérique, car si l’Eglise voulait restaurer son autorité d’antan, elle ne le pourrait pas, n’en ayant guère les moyens.

On peut expliquer la mauvaise image actuelle de l’Eglise en France par plusieurs éléments : la conjonction d’une indifférence généralisée et d’une méfiance à l’égard des systèmes idéologiques qui s’étend aux religions. Il suffit de voir actuellement la force de l’idée selon laquelle les religions peuvent engendrer des guerres, certains pensant, en se référant à l’inquisition, que les chrétiens seraient capables eux aussi d’agir comme les talibans en Afghanistan ou comme les groupes islamiques en Algérie ou ailleurs. Autrefois, on supportait avec un esprit d’obéissance le pouvoir de l’Eglise alors qu’aujourd’hui, on ne lui passe rien, on ne lui pardonne rien.

S’y ajoute que, pour beaucoup, la libération des mœurs est le critère de la modernité, sinon de la démocratie. Les forces de gauche n’ont plus de programme commun et elles ne se retrouvent que sur le terrain libertaire. Aujourd’hui, toute contrainte nous paraît insupportable alors que nous avons beaucoup de confort et de protection sociale. On accepte difficilement une religion qui édicte un certain nombre de règles. Mais ce nouvel ordre libertaire présente aussi des contradictions. D’un côté, on nous dit : « Agissez  selon votre fantaisie, votre désir est roi ; ce que vous décidez de faire, c’est ce qui est bon », et en même temps, la société impose des contraintes fantastiques dans le monde du travail. Et dans la vie professionnelle, on se débarrasse vite de celui qui agit selon sa fantaisie et ses envies.

4. Un point de vue positiviste

On peut aussi se demander si, sur le terrain religieux, le changement essentiel ne vient pas dela disparition de la référence à l’au-delà dans la mesure où la plupart des gens ne s’intéressent pas à ce qui arrive après la mort. Encore que le succès du mythe de la réincarnation prouve que la question de l’au-delà ne laisse pas tout le monde indifférent. Mais il est vrai que notre société tourne le dos à ce problème, les gens ne se posant la question qu’à l’occasion des funérailles. 

Ce sont surtout les problèmes de l’hic et nunc qui préoccupent essentiellement nos contemporains. Notre relation au temps a profondément changé ces dernières années. Autrefois la durée de vie était plus courte, mais, curieusement, on s’inscrivait davantage dans une durée longue. Aujourd’hui, les gens vivent beaucoup plus longtemps, mais nous vivons dans l’instant sans nous projeter dans un avenir lointain.

Ces attitudes nouvelles semblent dues au fait quenous vivons, par l’intermédiaire des médias, des émotions successives. Nous pouvons être très sensibilisés à telle ou telle cause par des images émouvantes pendant quelques heures et, huit jours plus tard, d’autres images nous font tout oublier. En se conjuguant, l’accélération de l’histoire et l’instantanéité nous habituent à ne plus nous situer dans la durée. Le cas des journées mondiales de la jeunesse est de ce point de vue révélateur. Pendant une période limitée dans le temps, on peut provoquer un mouvement d’enthousiasme religieux chez les jeunes, mais le problème est de transformer cette ferveur en un engagement durable. Les jeunes chrétiens ne s’interrogent pas longuement pour peser le pour et le contre, mais ils marchent au coup de cœur, étant souvent plus sensibles aux témoignages qu’aux discours rationnels.

Les jeunes ont surtout du mal à entrer dans une institution qui leur est antérieure, qui a un héritage et qui leur survivra. Ils préfèrent souvent constituer un groupe d’amis proches, ne durant que le temps où l’on est bien ensemble. Cette allergie de nos contemporains à s’intégrer dans une structure qui les précède ne touche pas seulement l’Eglise catholique. C’est une difficulté commune à toutes les grandes organisations, aussi bien religieuses que syndicales et politiques, car les gens ne raisonnent plus dans la perspective d’une longue durée. On vit à court terme.

Par ailleurs, comme la visite de Jean-Paul II à Lourdes l’a montré (certains ont parlé de « l’hystérie de Lourdes »), on ne cesse de brocarder, dans la meilleure tradition positiviste, les ritesqui scandent la vie de l’Eglise et les pratiques du culte. Or le rite n’est pas uniquement chrétien ; toute vie sociale est ritualisée. C’est par le rite que l’enfant prend conscience de son appartenance à un groupe et qu’un ensemble de personnes manifeste une identité commune, qu’elle soit provisoire ou s’inscrive dans la durée (célébration de victoires sportives, fêtes folkloriques, anniversaires, fêtes de famille, etc.). C’est tellement vrai que lorsqu’un rite est jugé obsolète, on s’empresse d’en créer de nouveaux, tel Halloween, substitut du Jour des morts du 2 novembre. 

Certes, il ne s’agit certes pas de faire des rites une panacée et de les imposer à tous : on peut se mouvoir plus volontiers dans l’abstrait et, en matière de religion, se sentir plus proche d’une définition de la transcendance comme d’une  « ultime réalité », que l’art et la musique permettent d’ailleurs d’effleurer. Mais cela donne-t-il le droit de regarder de haut ceux qui ont besoin de gestes et de symboles pour exprimer leur relation à cet au-delà possible de l’humain ?

4. Réaction : une activité théologique importante et une pratique du dialogue interreligieux

Face à cette recomposition du paysage religieux, le christianisme ne peut  se confiner dans le registre du témoignage religieux pur. Il peut y avoir, selon les vocations individuelles et selon les moments, des expressions plus affectives de la foi. Je pense que le renouveau charismatique est probablement une chance et une grâce pour l’Eglise, mais on ne peut pas identifier le christianisme au Renouveau.

 

Les chrétiens doivent formuler en termes compréhensibles et recevables l’essentiel de la vérité chrétienne. Il est  important que l’on ait une expression philosophique du christianisme et pas seulement une dimension humanitaire. Les actions philanthropiques sont nécessaires, mais il est bon aussi qu’il y ait une démonstration, une explicitation, une affirmation proprement intellectuelle. Il importe que le christianisme continue à se positionner comme un partenaire sur le plan de la réflexion, de l’intelligence et des idées. Il ne doit pas oublier qu’il a une longue tradition culturelle de penseurs, de philosophes et il faut qu’il anime aussi, comme il l’a fait par le passé, la création littéraire, artistique, architecturale.

 

 Dans leur présence au monde, les chrétiens prennent conscience du pluralisme religieux de la société contemporaine et entrent en contact avec les représentants d’autres religions. Parmi celles-ci, l’islam me paraît avoir une place particulière, non seulement à cause de son omniprésence dans les médias (en fait, ce qu’on nous présente, c’est une instrumentalisation de l’islam à des fins politiques), mais surtout parce que cette religion se fonde essentiellement sur deux dimensions qui se trouvent aussi dans le christianisme, mais trop peu affirmées aujourd’hui : le sens de la Transcendance et celui de la Communauté. C’est Roger Garaudy (1984), notamment, qui évoque ces deux dimensions fondamentales dans L’Islam habite notre avenir.

 

Le prophète Mohammed n’a pas prétendu fonder une religion nouvelle, mais seulement à conduire les hommes sous la dictée de Dieu, à se ressouvenir de la foi primordiale, celle d’Abraham. Pas d’autre divinité que Dieu, telle est la première partie de la profession de foi. A l’époque, ce n’était pas seulement éliminer toutes les formes de polythéisme et d’idolâtrie, mais, par l’affirmation de cette transcendance radicale, relativiser tout pouvoir, tout avoir et tout savoir.

Dieu est plus grand que le plus grand des rois, et à Lui seul est due une absolue révérence. Il y a là le principe d’un droit inaliénable à la résistance à toute tyrannie.

 

Cette conception est en outre le fondement divin d’une égalité de tous les hommes par-delà toute hiérarchie sociale de pouvoir, de richesse ou de sang. Lorsqu’il s’adressa pour la dernière fois à ses compagnons, Mohammed, à La Mecque, lors du pélérinage de l’Adieu, en mars 632, insista sur l’égalité de tous les hommes devant Allah, sans discrimination de race, de richesse ou de sang,

 

Une affirmation aussi radicale et intransigeante de la transcendance donne un fondement radicalement nouveau à la communauté. Transcendance et communauté sont les deux pôles, indivisibles, de la révélation du Prophète. Ce sont là aussi deux valeurs dont le chrétien doit se nourrir. C’est là un des enjeux fondamentaux que je vois au dialogue des civilisations (et le dialogue interreligieux en est une des modalités) : redécouvrir dans la culture des autres des valeurs que nous avons enfouies ou qui ne nous habitent plus suffisamment.

 

 

 

5. Fait religieux et démarche interculturelle

 

La démarche que j’ai mise en place dans mon ouvrage Islam-Occident, permet ce dialogue entre l’Islam et l’Occident et fournit des outils concrets pour mener un tel travail en classe. Dans un premier temps, je présente certains concepts clés et de nombreux témoignages qui devraient aider à mieux comprendre les fondements de l’identité musulmane. Je propose ensuite des procédures didactiques pour cerner la dimension religieuse de l’Islam dans des textes issus de la littérature maghrébine et de la littérature migrante de langue française. Je procède à des comparaisons avec les valeurs et les comportements présents dans des textes des littératures française et belge. Soucieux d’établir un dialogue entre l’Islam et l’Occident , les enseignants peuvent  ainsi déconstruire les stéréotypes présents de part et d’autre.

 

Actuellement, l’Islam et le monde arabe cristallisent la peur de l’Occident : j’ai tenté de montrer que ce phénomène est peut-être moins dû à une réelle incompatibilité de valeurs qu’à un refus de reconnaissance mutuelle. A tous les niveaux, l’apprentissage de la différence apparaît essentiel à la (sur)vie dans un monde pluriel. Au plan spécifique des traditions ou convictions philosophiques et religieuses, il s’agit de montrer que la découverte et l’acceptation des différences  ne représente ni une perte de soi ni une faiblesse ou une démission face à l’autre : pour que la différence soit reconnue et acceptée, notre identité est aussi significative et nécessaire que celle de l’autre.

 

Cependant, le vivre-ensemble suppose que l’on dépasse aussi bien le scepticisme relativiste que la volonté de s’imposer. Chacun sera invité au respect non seulement de l’autre dans sa différence, mais de ce qui fait le socle commun et les lois communes de la société plus large, même si celle-ci aussi demeure particulière, le produit d’une histoire toujours en cours. Un tel travail de comparaison et de réflexion peut ainsi constituer l’essentiel d’un cours qui porte sur le fait religieux.

 

Dans le contexte de recomposition du paysage religieux, dont parlent notamment Jean Delumeau (1997)  et René Rémond (2001), l’ouverture aux autres religions est plus que nécessaire pour autant que l’on puisse aussi prendre conscience de son propre héritage. C’est le cas à l’Ecole Sainte-Marie de Hann de Dakar que j’ai visitée en 2010. Le Sénégal  offre une « alchimie particulière » qui autorise un projet éducatif fondé sur l’éducation à la paix et à la mixité culturelle et religieuse. Dans ce pays cohabitent 90% de musulmans, 5% de catholiques, 5% d’autres religions et presque tous conservent un fond d’animisme. Toutes ces croyances coexistent sans heurts. Ce contexte de tolérance, je l’ai ressenti à plusieurs reprises durant mon séjour à Dakar.

 

J’ai assisté, au Cours Sainte-Marie, à une célébration islamo-chrétienne donnée conjointement par un imam et un prêtre. Les élèves de toutes confessions assistaient ensemble à la cérémonie, priant et écoutant alternativement la Bible et le Coran. J’ai également entendu dire que, lors de la fête de la Tabaski (fête du mouton, l’équivalent de l'Aïd-el-Kebir), un des professeurs du Cours Sainte-Marie invite les professeurs et autres enployés de l’école à partager le mouton sacrifié. Ce Sénégalais accueille donc catholiques et musulmans à célébrer, ensemble, une fête musulmane. Il n’est pas rare non plus de rencontrer des couples mixtes, réunissant un catholique et un musulman.

 

En bref, la tolérance exceptionnelle que l’on retrouve au Cours Sainte-Marie s’inscrit dans un contexte culturel national très tolérant également.  La téranga (hospitalité) sénégalaise est sans aucun doute pour beaucoup dans la réussite de ce brassage culturel et religieux. N’est-ce pas, en instaurant un tel climat de tolérance dans nos classes, d’ouverture aux autres religions, que nous pourrons réaliser l’objectif terminal que René Nouailhat (2004) assigne à l’enseignement du fait religieux : aider à pressentir et même à ressentir l’expérience humaine qui habite le fait religieux ?

 

Bibliographie

 

Delumeau J (1997), Des Religions et des hommes, Paris, Desclée de Brouwer.

 

Garaudy R.   L’Islam habite notre avenir, Paris, Desclée de Brouwer, (1981) et

Avons-nous besoin de Dieu ? (1984), Paris, Desclée de Brouwer.

 

Guillebaud J.-Cl. (2005), La force de conviction, Seuil.

 

Nouailhat R. (2004), Enseigner le fait religieux : un défi pour la laïcité, Paris, Nathan.

 

Rémond R. (2001), Religion et société en Europe. La sécularisation aux XIXème et  XXème siècles, 1780-2000, Seuil.

Paris.


Luc Collès, UCL-CRIPEDIS

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