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Blog de Luc Collès
6 juillet 2014

Les conditions d'un dialogue interreligieux fructueux


Les Dix commandements du dialogue interreligieux

 

Les  dix commandements du dialogue que nous évoquons ici sont autant de conditions incontournables pour nouer un dialogue fructueux

 

1) Cesser de considérer le dialogue entre les religions comme une matière à option de la vie spirituelle et politique


A) Sur le plan politique, le temps des coexistences pacifiques, entendues comme juxtaposition de cultures fermées sur elles-mêmes et imperméables aux autres, est révolu.

 

_ Seul un dialogue au sens propre du terme, celui qui fait s’interpénétrer les cultures et qui exige un incessant travail de compréhension réciproque, est capable d’éloigner le spectre de la violence.

 

- Les exemples historiques ne manquent pas, de paix qui se limitaient à des cessez-le-feu, de prétendues paix qui se fondaient sur le mépris de l’autre, et qui n’ont été que les creusets d’une explosion de violence.

 

- L’Allemagne du début du XXe siècle, où la communauté juive croyait vivre en toute sécurité,

- L’ex-Yougoslavie, qui s’est crue définitivement unifiée par la dictature communiste…

- Israël, où la paix est très fragile même si aucun chemin ne permet de revenir à la pure et simple cohabitation.

 

 

B) Sur le plan culturel et religieux, nous ne serions pas nous-mêmes s’il n’y avait pas eu les autres, dont l’histoire a interféré avec la nôtre au point que, par exemple, l’épanouissement de la civilisation musulmane a été parmi les moteurs les plus importants de l’émergence de l’Occident moderne en tant que tel.

 

Nos devons opter pour le dialogue interreligieux. Voilà le défi que nous lance la mondialisation. Si nous voulons résister à l’américanisation culturelle de la planète, nous devons nous confronter à cette question cruciale : comment affirmer à la fois la nécessité de valeurs universelles et la légitimité des singularités culturelles ?

 

 

Les  neuf autres « commandements » du dialogue, seront articulés autour des trois temps d’une phrase fondatrice de Thomas Merton :
«Nous acceptons  la division, nous collaborons avec la division,
nous dépassons la division ».


Les neuf principes suivants consisteront donc en quatre deuils résumés par le premier élément de cette phrase, en trois explorations résumées par le deuxième, et en deux dépassements résumés par les derniers mots de Merton.




2) Faire le deuil de sa propre innocence

 

- « Nous acceptons la division… »


- Impossible de faire l’impasse sur le passé, C’est pourquoi l’acte inaugural du dialogue consiste en une proposition de réconciliation, laquelle doit passer, la plupart du temps, par une demande de pardon.


- Reconnaître qu’il y a eu faute, reconnaître que nous en sommes responsables (c’est-à-dire, au sens propre, que nous devons en répondre, même si nous n'avons évidemment pas commis nous-mêmes les crimes en question), demander le pardon, voilà le premier pas incontournable de toute démarche dialogale.


- Il ne s’agit pas ici de se vautrer dans le dolorisme et la culpabilité, ni de dévaloriser sa propre tradition par rapport à celle des autres : la question est seulement de trouver le moyen que les crimes d’antan ne pèsent plus sur le présent, qu’ils soient mis à distance.

 

-Il  ne s’agit pas non plus d’un processus de négociation, qui exigerait une symétrie des repentances. Nul besoin de réciprocité : la question cruciale est seulement celle de notre rapport à notre propre histoire, pour mieux se comprendre et se présenter plus libéré face à notre  interlocuteur.  

 

 

 

 

                                                                                                             

-       3) Faire le deuil de tout projet de prosélytisme


- Les crimes dont il est ici question sont presque toujours liés (en tout cas, pour les religions à prétention universelle comme le christianisme ou l’islam) à la volonté d’imposer à l’autre, d’une façon ou d’une autre, sa propre vision du monde.


-  S’engager à se confronter à l’altérité est une attitude incompatible avec celle qui consiste à espérer pouvoir un jour réduire l’autre au même. Le dialogue serait alors ramené aux prolégomènes de l’évangélisation, à une préparation de l’entreprise missionnaire : il n’est plus qu’un « dialogue-hameçon ».


4) Faire le deuil de toute prétention à la supériorité


- Faisons un pas de plus : abandonner définitivement l’espoir ambigu de voir un jour l’autre se convertir, c’est remettre en question cette certitude que notre façon de voir Dieu est la meilleure possible.

 

- Faire le deuil de la supériorité de sa religion, ce n’est ni sombrer dans le nihilisme (« rien ne vaut »), ni tomber dans le relativisme (« rien n’a de valeur en soi ») ni se rallier à l’indifférentisme (« tout se vaut »).



5) Faire le deuil de tout consensus ici-bas


- « Vous faites bon marché de la Révélation, objecteront certains. Le Christ n’a-t-il pas dit lui-même qu’il est la Voie, la Vérité, la Vie ? La Voie, et non pas une voie parmi d’autres ! » Par ce genre de raisonnement, même si l’on se veut « tolérant » pour toutes les autres religions, cette tolérance ne vaut que pour le monde présent, et on ne fait que reporter la prétention à la supériorité chrétienne dans le domaine des fins dernières, de l’eschatologie.

 

- Et l’on se dit que si toutes les traditions possèdent des bribes de la Vérité unique, c’est en définitive la nôtre qui en est dépositaire dans sa totalité, même si cela ne sera manifeste qu’à la fin des temps. Le totalitarisme de la pensée se fait ainsi plus acceptable, il n’en est pas moins pervers…


- Telle fut longtemps l’attitude de l’Eglise. On cite souvent, en effet, l’adage « Hors de l’Eglise point de salut », qui fut opposé par Rome essentiellement aux hérétiques, mais vis-à-vis des autres religions, l’attitude chrétienne fut plus subtile, elle était inclusive, On admettait volontiers que les traditions de l’humanité comportaient des « pierres d’attente », des « semences du Verbe», étant entendu que ces semences ne pourraient pleinement venir à la lumière que dans le cadre du christianisme. Cette vision de la foi de l’autre comme « tremplin », selon l’expression de Clément, peut paraître tolérante –mais elle ne correspond en rien à une reconnaissance de l’autre en tant qu’autre, elle ne le considère que comme un même en devenir.


- La Vérité est absolument inaccessible dans son absoluité, tandis que les hommes ont à dialoguer pour rassembler ici-bas les bribes de vérité dont ils sont chacun dépositaires.

 

« …Nous collaborons avec la division… »


- Partant de cette constatation que le pluralisme religieux est légitime en lui-même, nous avons devant nous un immense chantier de travail. Travail de traduction, essentiellement, si tant est que les religions sont comme des langues par lesquelles les hommes disent et se disent entre eux leur part de divin.

 

- Cette métaphore de la langue sous-entend qu’on ne peut pas se passer de cet outil hérité de l’histoire. Le poète le plus universel, en effet, ne peut pas s’exprimer dans une langue universelle qui n’existe pas (cf. l’échec de l’esperanto), il doit forcément passer par une langue donnée, quitte à la transformer en profondeur.

 

- De nos jours, on a parfois la nostalgie d’une sorte de religiosité universelle, qui serait fondée sur « le meilleur de chaque tradition », correspondant aux visions universalistes de certains mystiques. Mais c’est là une fausse vision de l’universel, comme si celui-ci était disponible ici et maintenant.

 

- Au contraire, l’universel est un horizon qui ne peut naître que de notre travail et du dialogue de nos singularités. Nous avons donc à « collaborer », c’est-à-dire à travailler ensemble, à partir de l’extraordinaire diversité de l’humanité.

6) Explorer les différences plutôt que les similitudes

 

- L’écueil consiste à essayer de comprendre l’autre en le réduisant au           « même », en transformant ses différences en similitudes, en ramenant sa part d’inconnu à ce qui pour nous relève du déjà connu. Or, en réalité, « pour comprendre l’autre,il faut se décentrer.  Et cette opération de décentrement radical est ce qu’il y a de plus difficile. Les traducteurs littéraires connaissent le piège des « faux amis». Nous ramenons l’inconnu au connu.

 

- Nous faisons la même erreur lorsque nous croyons que la réincarnation orientale est grosso modo l’équivalent de notre résurrection, lorsque nous disons que les juifs constituent le « peuple du Livre » (et donc de la lettre) alors qu’Israël est avant tout le peuple de l’interprétation du Livre (donc celui de l’esprit).

 

 7) Explorer la genèse des préjugés


- Ce travail de défrichement implique que le dialogue des religions ne peut faire l’impasse sur la science des religions, sur la critique historique, littéraire, sociale, etc, qui nous permet d’avoir, au-delà de nos différentes sensibilités spirituelles, un langage commun.

 

- Grâce aux sciences humaines, il est possible de discuter ensemble à partir d’une plate-forme rationnelle, qui tient à distance le poids des subjectivités historiques. Ainsi les préjugés réciproques peuvent-ils être soumis au crible de l’analyse.

 

- Une intervention des sciences humaines dans le débat interreligieux ne va pas sans problème, ni sans résistances : ainsi en est-il, par exemple, lorsque des musulmans refusent toute lecture critique du texte coranique, compris comme Parole divine purement « descendue » en langue arabe, telle quelle dans son absoluité, par la bouche du Prophète.

 


- Autre exemple, les chrétiens qui se penchent sur les racines de l’antijudaïsme de leur tradition ne peuvent que remonter jusqu’à leurs textes fondateurs, et tenter de comprendre à quel point les évangiles eux-mêmes sont marqués par une polémique (en l’occurrence intra-judaïque, puisque les évangélistes eux-mêmes étaient juifs, sauf Luc) qui a subi des distorsions dans son interprétation au cours des siècles.

 

- Le dialogue honnête nous conduit donc à revoir de fond en comble l’interprétation de passages comme Matthieu 5, 43 : « On vous a appris : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi, moi je vous dis aimez vos ennemis et priez pour vos persécuteurs ». Si le commandement d’aimer son prochain est effectivement un leitmotiv de l’Ancien Testament, celui d’haïr son ennemi n’y est nul part mentionné, il y a donc là une sorte de falsification de la citation biblique par Matthieu lui-même, le plus juif des évangélistes pourtant, qui se laisse ici emporter par sa polémique contre ceux de ses coreligionnaires qui n’ont pas reconnu Jésus comme Messie.

 

-       La recherche et l’étude des textes nous conduit à des remises en question radicales.

 


8) Explorer la pluralité de l’autre

- Ce travail nous amène naturellement à considérer que l’Autre n’est pas un et figé dans l’image que l’on en a, qu’il se situe dans une histoire et une géographie. Toutes les religions ont leurs richesses et leurs lignes de perte, toutes ont leurs intégristes et leurs réformateurs, toutes ont leurs potentialités d’ouverture et leurs tendances au repliement sur soi.

 

- La pratique du dialogue conduit à considérer l’autre comme pluriel et en devenir… et dans le même temps, il nous fait porter un regard différent sur notre propre tradition, qui elle aussi est plurielle et en devenir.

 

 

 « …Nous dépassons la division »


Explorer, étudier inlassablement, avancer sans cesse contre le vent de nos préjugés pour mieux connaître l’autre dans son irréductible altérité.

 


9) Dépasser l’horizon de la relation bilatérale


- Une première étape consiste à élargir le champ du dialogue, pour ne jamais s’enfermer dans un système de discours clos. Pour cela, il nous faut rompre la logique du tiers exclu : celle où, sous prétexte d’affinités et de dialogue, on s’entend avec un autre sur le dos d’un troisième.

 

- Par exemple, des chrétiens engagés dans le dialogue avec le judaïsme hésiteront à évoquer, par une pudeur mêlée de complaisance, la question palestinienne…

 

- Enfin, le dialogue interreligieux ne peut, s’il veut demeurer vivant, secontenter de n’être… qu’interreligieux. La confrontation avec les « sans religion », agnostiques et athées, est essentielle pour se comprendre en tant que croyants : elle peut nous aider à dépasser ce qu’il y a d’idolâtrique et de totalitaire dans nos pratiques et nos croyances. Après tout, judaïsme et christianisme n’ont-ils pas été persécutés par Rome comme athéismes?

 

 

 

10) Dépasser les notions traditionnelles de religion

 

- Pourrait-on être chrétien sans adhérer à un système de croyances et à une communauté donnée, et dans ce cas, comment parler de Dieu sans religion ?

 

- Cette interrogation fondamentale, à laquelle le chrétien d’aujourd’hui ne peut que se confronter s’il suit jusqu’en ses ultimes conséquences une démarche de dialogue avec les autres traditions, rejoint – sur un plan théologique – la pensée politique et sociologique d’un Marcel Gauchet : « le christianime est la religion de la sortie de la religion », explique ce philosophe dans son fameux livre Le désenchantement du monde.

 

- Jean Mouttapa se demande, lui, si le christianisme, en tant que phénomène socio-historique (condamné donc à avoir un début, un développement et une fin) ne sera pas amené dans les décennies à venir à se libérer de tout son apparat institutionnel pour revenir à une sorte de pauvreté essentielle.

 

Luc Collès, UCL-CRIPEDIS

 

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